Hermann Cohen, frère Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement (1820-1871)

Au cri unanime de l’humanité souffrante : ” Bonheur où es-tu? “, Hermann Cohen répondait :

Le bonheur, je l’ai cherché dans la vie élégante, dans l’étourdissement des bals et des fêtes ; je l’ai cherché dans la possession de l’or, dans les émotions du jeu, dans l’intimité des hommes célèbres, dans tous les plaisirs des sens et de l’esprit… La plupart des hommes se trompent sur la nature même du bonheur ; et ils le cherchent là où il n’est pas… On aime le bonheur, et Jésus-Christ, seul bonheur possible, n’est pas aimé… Ô mon Dieu ! est-ce possible ? l’Amour n’est pas aimé ! Pourquoi ? parce qu’il n’est pas connu. On étudie tout, excepté Lui… Ô vous tous qui m’écoutez, faut-il donc que ce soit un Juif qui vienne supplier des chrétiens d’adorer Jésus-Christ ?… Mais, dira-t-on : « Je ne crois pas en Jésus-Christ ». Et moi non plus je n’y croyais pas, et c’est précisément pour cela que j’étais malheureux !

Né le 10 novembre 1821 à Hambourg. De famille juive distinguée, doué d’une intelligence supérieure, Hermann se fait remarquer non seulement pour ses ressources intellectuelles, mais aussi pour son prodigieux don musical. Grisé dès le plus jeune âge par le succès de pianiste qu’il remporte à Hambourg, son ambition ne connaît plus de bornes. Elève préféré du virtuose Franz Liszt, les succès du jeune prodige de 13 ans éblouissent les milieux mondains de Paris…

Ma vie fut alors un abandon complet à tous mes caprices et à toutes les fantaisies. En fus-je plus heureux ? Non, mon Dieu ! La soif du bonheur qui me dévorait n’en fut point étanchée. Tout me réussit avec un succès incroyable : le faubourg Saint-Germain m’adopta… toutes les séductions du monde s’emparèrent de mon esprit. Oh, l’horrible esclavage ! Moi aussi, je l’ai éprouvé : j’étais bâillonné, enchaîné par ces fers de forçat !… Je comprenais qu’il fallait rompre ces fers… et je ne pouvais pas.

Il en est là, à 26 ans, le prince de la Moskova le prie de le remplacer à la tête d’un choeur d’amateurs, pour les solennités du Mois de Marie dans l’église Sainte-Valère, à Paris.

J’acceptai, uniquement inspiré par l’amour de l’art musical et la satisfaction de rendre un bon office. Quand le moment de la Bénédiction du Saint-Sacrement fut arrivé, je ressentis un trouble indéfinissable. Je fus, sans participation de ma volonté, entraîné à me courber vers la terre. Étant revenu le vendredi suivant, je fus impressionné absolument de la même manière et je fus frappé de l’idée subite de me faire catholique.

Peu de jours après, je passais, un matin, près de la même église de Sainte-Valère ; la cloche annonçait une messe : j’entrai dans le sanctuaire, et j’assistai au sacrifice, immobile et assez attentif ; j’entendis une, deux et trois messes, sans songer à me retirer ; je ne pouvais comprendre ce qui me retenait. Après être rentré chez moi, je fus involontairement, vers le soir, ramené vers le même lieu, et la cloche m’y fit rentrer de nouveau ; le Saint Sacrement était exposé, et dès que je le vis, je fus entraîné vers la balustrade de communion, et je tombai à genoux. Je m’inclinai cette fois, sans effort, au moment de la bénédiction, et en me relevant je sentis un apaisement très doux dans tout mon être. Je m’en retournai dans ma chambre, et me couchai ; mais durant la nuit entière, je n’eu, en rêve ou en réalité, l’esprit occupé que du Saint-Sacrement. Je brûlais d’impatience d’assister à de nouvelles messes ; et dès la même époque, j’en entendis plusieurs à Sainte Valère, avec une joie intérieure qui absorbait toutes mes facultés.

Ressentant un attrait qui le ramène toujours vers cette église, il a l’occasion, peu après, d’assister plusieurs fois à la Messe, avec une joie intérieure qui absorbe toutes ses facultés. Le 8 août suivant, au moment de l’élévation de la Sainte Hostie, il ne peut contenir un flot de larmes :

Spontanément, comme par intuition, je me mis à faire à Dieu une confession générale de toutes les énormes fautes commises depuis mon enfance : je les voyais là, étalées devant moi par milliers, hideuses, repoussantes… Et cependant, je sentis aussi, à un calme inconnu qui vint répandre son baume sur mon âme, que le Dieu de miséricorde me les pardonnerait, qu’il aurait pitié de ma sincère contrition, de ma douleur amère… Oui, je sentis qu’il me faisait grâce, et qu’il acceptait en expiation ma ferme résolution de l’aimer par-dessus tout et de me convertir à Lui désormais. En sortant de cette église d’Ems, j’étais déjà chrétien par le cœur…

Un après-midi de novembre 1848, il entre dans la chapelle des Carmélites de la rue Denfert-Rochereau à Paris. Le Saint-Sacrement y est exposé pour la nuit devant des adoratrices. Là, lui vient l’idée de fonder « une association ayant pour but l’exposition et l’adoration nocturne du Très-Saint-Sacrement, la réparation des injures dont Il est l’objet ». L’association d’adoration nocturne des hommes réunit pour la première fois ses membres, la nuit du 6 au 7 décembre, dans l’église Notre-Dame des Victoires. Dans son bonheur, jaloux de faire participer les hommes à cette nouvelle garde d’honneur du Roi des Rois, il parcourut plusieurs églises de Paris, y aborda les jeunes gens qu’il trouva en prière, leur proposa de les enrôler dans la pieuse milice. Hermann se tourne aussi vers ses amis d’hier :

Venez donc à ce Banquet céleste, qui a été préparé par la Sagesse éternelle. Venez, laissez là vos hochets, vos chimères… Demandez à Jésus la robe blanche du pardon ; et avec un cœur nouveau, avec un cœur pur, abreuvez-vous à la fontaine limpide de son Amour.

Hermann reçoit l’habit des Carmes sous le nom de Frère Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement. Dès 1852, il est envoyé prêcher dans diverses villes ; ses paroles enflammées par l’amour de Dieu convertissent les âmes et les attirent au confessionnal, à la dévotion fervente envers la Sainte Vierge et l’Eucharistie ; certains demandent le Baptême, d’autres entrent en religion. Dans tous ses sermons, le Père Augustin-Marie manifeste son amour de l’Eucharistie. Il fonde ensuite à Lyon, en 1859, avec l’encouragement du pape Pie IX, d’une confrérie de l’action de grâces destinée à

rendre grâces à l’Éternel de ses dons, surtout de celui qui est par excellence le Don de Dieu, l’Eucharistie ; suppléer à l’effrayante ingratitude du grand nombre, qui oublie les devoirs de la reconnaissance envers Dieu ; remercier le Seigneur pour ceux qui ne disent pas merci.

C’est par la divine Eucharistie et par Elle seule que nous pourrons dignement nous acquitter de notre dette de gratitude envers Dieu. Voilà le suprême degré de l’action de grâces… Ô mon Dieu, quand je vous offre cette Hostie de louange et d’amour, Vous faites entendre encore cette voix paternelle du haut des cieux, qui descendit sur Jésus : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je mets toutes mes complaisances (Mc 1, 11).

Conformément à l’idéal du Carmel, le Père Augustin-Marie aspire à la solitude profonde du désert afin de s’adonner davantage à l’oraison.

L’important est de ne pas prendre goût aux choses du monde, et c’est précisément l’effet de l’oraison quotidienne de nous désabuser sur l’agrément de toutes ces choses et d’exciter en nous le désir de Jésus seul. Le Dieu d’amour est jaloux : il veut régner seul, être aimé, goûté, désiré.

Il s’installe près de Lourdes pour fonder un ermitage. Mais rapidement, le Pape l’appelle à restaurer l’ordre des Carmes en Angleterre. À la suite de ses prédications, plusieurs Anglicans expriment leur volonté d’entrer dans l’Église catholique. Deux ans environ après son arrivée en Angleterre, sept maisons d’adoration y sont en pleine activité, dont deux à Londres.

De retour en France, il est atteint d’une très grave maladie des yeux. Suite à une neuvaine à la grotte des apparitions de Lourdes, il reçoit une guérison subite et complète : le miracle est évident.

En 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Un mois après, le désastre de Sedan entraîne la chute du régime napoléonien. Une haine anti-prussienne et antireligieuse s’empare des Français. Le populaire Carme déchaussé, vénéré et aimé dans toute la France, est pourchassé de ville en ville pour sa double qualité de moine et d’Allemand. Il obtient l’autorisation de servir comme aumônier à Spandau, à 14 km de la capitale, où plus de cinq mille prisonniers français manquent de vêtements, de nourriture et surtout de secours spirituels. Il gagne rapidement leurs cœurs. Grâce à son inépuisable bonté, beaucoup viennent à lui pour se confesser ; un mois après son arrivée, 300 soldats ont reçu la Sainte Communion… Mais à un tel régime, la santé du Père Augustin-Marie, déjà si chancelante, se dégrade.

Le 9 janvier 1871, il administre l’extrême-onction à deux prisonniers atteints de la petite vérole (variole). La spatule qui sert à oindre les agonisants de l’huile sainte manquant à ce moment-là et l’urgence étant certaine, le Père n’hésite pas à faire les onctions de sa propre main, risquant ainsi sa vie pour le salut éternel de ses deux brebis. De fait, il contracte la maladie. Dans la soirée du 19 janvier, il se confesse paisiblement, et reçoit la Sainte Communion. « Maintenant, ô mon Dieu, dit-il, je remets mon âme entre vos mains ».